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UNE
Orkyn : un employé se suicide, la faute au stress ?
Orkyn : un employé se suicide, la faute au stress ?
François Krug | Journaliste
Un salarié
de la société de services médicaux Orkyns’est pendu
dans les locaux de l’agence de Strasbourg. Un drame tristement banal. Mais les
syndicats avaient alerté la direction sur la montée du stress dans cette
filiale d’Air Liquide. Ce suicide aurait-il pu être évité ?
Ce père
de famille d’une quarantaine d’années travaillait depuis deux ans et demi pour
Orkyn, selon la direction. Son poste : responsable logistique, chargé
d’organiser la livraison et l’installation de matériel médical au domicile des
patients.
Ses
collègues ont découvert son corps à l’ouverture des bureaux, le 4 février.
Selon un délégué syndical, le geste était réfléchi : « Il avait pris
de l’avance sur son travail et organisé les livraisons des deux jours
suivants. » Il avait aussi laissé deux lettres à ses proches. Sans y
évoquer sa vie professionnelle.
Pour la direction, c’est un drame personnel : « Les gens de
l’équipe n’ont rien vu venir, ils ne comprennent pas. » Pour les
syndicats, c’est aussi un drame professionnel. « On ne le fait pas de
façon anodine sur son lieu de travail », résume un délégué.
La direction refuse
une expertise sur le stress
Depuis
plusieurs mois, les syndicats alertaient la direction sur la détérioration des
conditions de travail. Le 10 décembre, lors d’une réunion tendue du Comité
d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), la CGT a
réclamé une expertise indépendante sur le sujet. Refus catégorique de la
direction.
Les autres
syndicats ont obtenu un compromis : la création d’un observatoire du
stress. Celui-ci n’avait pas encore été mis en place lorsque le salarié
strasbourgeois s’est suicidé. Pour Jean-Claude Delgenes, patron du cabinet Technologia,
cette solution n’en est pas vraiment une.
Expert
indépendant, il a notamment travaillé chez Renault après le suicide, entre
octobre 2006 et février 2007, de trois salariés du Technocentre de
Guyancourt :
« Renault avait créé un observatoire du stress en 1998. Ils n’ont
rien vu venir. L’observatoire peut devenir lui-même un filtre : il faut
pouvoir garantir la liberté de parole et la confidentialité. »
L’organisation
éclatée d’Orkyn ne facilite pas les choses. Les 1 200 salariés sont répartis
entre le siège de Gentilly (Val-de-Marne) et une cinquantaine d’agences à
travers la France. Des équipes de 10 à 25 personnes, selon la
direction. Souvent moins, selon les syndicats.
« Des gars qui
ne voient plus le sens de leur travail »
Dans cette ambiance tendue, les délégués syndicaux d’Orkyn et d’Air
Liquide contactés par Eco89 ont tous souhaité s’exprimer anonymement.
« Les salariés n’ont pas de vie de famille », accuse l’un d’eux, en
dénonçant un véritable « flicage ». Un autre confirme :
« Ils font croire qu’il y a une sorte de “réquisition” possible
pour les salariés qui travaillent dans la santé, mais nos conditions devraient
être les mêmes que pour tous les salariés. On n’est pas des médecins, on n’est
pas le Samu, on n’est pas les pompiers, on est une société privée qui travaille
en direction de la santé. »
La direction assure n’avoir « aucune perception » d’une montée
du stress. Mais selon un autre délégué, l’ambiance s’est transformée en
quelques années :
« On perçoit de plus en plus de personnes stressées, des managers
comme des employés. Il y a de plus en plus de gars qui ne voient plus le sens
de leur travail. Et il n’y a plus de relations sympas, plus de pots de départ
ou d’anniversaire. »
Au moins
500 suicides liés au travail chaque année
Selon les statistiques du ministère
de la Santé, le suicide représenterait 11 000 décès par an
en France, ou jusqu’à 13 000 en tenant compte des « phénomènes
de sous-déclaration ». Combien de ces décès sont-ils liés au
travail ?
L’étude de référence sur le
suicide au travail date de 2003 et ne porte que sur la
Basse-Normandie. « Par extrapolation », explique Jean-Claude
Delgenes, le nombre de suicides « professionnels » peut être estimé à
500 à 600 par an. « Une fourchette basse », insiste-t-il,
en rappelant que de nombreux suicides sont « maquillés en accidents du
travail » par le salarié ou son employeur, par exemple dans le cas d’un
accident de la route ou une chute.
Difficile de faire la part des facteurs personnels et professionnels
dans ces morts :
« Ce n’est jamais binaire. Mais quand vous choisissez le lieu de
travail, il est très rare qu’il n’y ait pas de lien avec le travail (...). Les
directions ne doivent pas être dans le déni et s’interdire de lancer une vraie
réflexion. »
Mais après une période ou les employeurs prenaient conscience de ces
situations, la crise économique pourrait renforcer ce « déni » de la
détresse de certains salariés :
« C’est passé au second plan. Jusqu’il y a six mois, on sentait que
les directeurs généraux et les DRH redoutaient ce genre de pépins. Aujourd’hui,
leur préoccupation, c’est la crise. Je suis persuadé qu’on va vers une risques psycho-sociaux. »
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