Gouvernance :
la vraie-fausse avancée d’Air Liquide
LE CERCLE. La nomination d’un
administrateur référent au Conseil d’administration est censée refléter une « souci
d’équilibre » entre administrateurs exécutifs et non exécutifs. Dans le cas
d’Air Liquide, on peut aussi y voir l’antichambre d’une dissociation…
ÉCRIT PAR
Quand en 2009, Carlos Ghosn, directeur général de Renault, accède à la
présidence du Conseil d’administration, Renault met en place un administrateur
référent. C’est une première en France. Lorsque les fonctions de directeur
général et de président sont occupées par la même personne, l’administrateur
référent a un rôle de leader des administrateurs indépendants et un petit peu plus de pouvoir que les
autres, en particulier celui d'inscrire à l’ordre du jour du Conseil les sujets
à débattre, de réunir les membres du Conseil en dehors de la présence de la
direction générale. La mesure est considérée comme un progrès de la bonne gouvernance
et elle s'inspire
de la pratique britannique du lead director.
Aujourd’hui au sein du CAC 40, on compte 11 administrateurs référents
(Accor, ArcelorMittal, Axa, Carrefour, Danone, Lafarge, Renault, Schneider
Electric, Technip, Veolia, Vinci).Air Liquide s’apprête à rejoindre le
club, mais un peu à reculons si l’on en croit son document de référence 2013.
Depuis 2010, une
mission de vigilance avait été confiée au Comité des nominations et de la
gouvernance d'Air Liquide pour veiller au bon fonctionnement des organes de
gouvernance. Au titre du règlement intérieur, ce Comité était l’organe de
dialogue entre les administrateurs non exécutifs et le Président-directeur
général, notamment en cas de conflits au sein du Conseil.
Etat des forces
Aujourd’hui, c’est
par « souci d’équilibre » entre administrateurs exécutifs et non exécutifs que
le Conseil crée une fonction d’administrateur référent. Pourtant, l’état des
forces en présence traduisait plutôt une situation favorable aux
administrateurs indépendants ! Sur onze administrateurs, neuf étaient
indépendants et la présence au conseil des exécutifs ou anciens membres
responsables exécutifs de la société est limitée à trois par le règlement
intérieur.
Preuve qu’il ne faut pas s’arrêter aux chiffres. Preuve que le passage
de trois à deux administrateurs issus du management en 2012 n’a pas été
suffisant. « Le maintien de fonctions unifiées se justifie essentiellement par
le souci de favoriser, dans la tradition d’Air Liquide, une relation étroite de
ses dirigeants avec les actionnaires », avance le groupe. Argument recevable
tant qu’Air Liquide avait une part importante d’actionnaires individuels à son
capital. Ce qui a beaucoup changé : en 2013, les investisseurs institutionnels étrangers
détiennent 45% du capital du groupe, contre 29% en 2001. Les actionnaires
individuels, avant tout domestiques, sont quant à eux passés de 45,3% du
capital à 36%.
Aujourd’hui, Air Liquide fait le choix d’un administrateur référent.
C’est l’antichambre d’une dissociation si l’équilibre entre contrôle et
exécution, entre présidence du Conseil d’administration et Direction générale n’est
pas mieux respecté. Seule une performance opérationnelle permettra un maintien
de l’unicité des fonctions et ôtera aux actionnaires l’argument de la
dissociation. Pas l’histoire du groupe. Le cours de Bourse, décevant depuis 15
mois, est une véritable alerte.
Les échos.fr 25/03/2014